Isabelle RAMBAUD, directrice des archives départementales de Seine-et-Marne, a ouvert la séance « Archives et Patrimoine ». Il s’agissait de revisiter les relations entre ces deux concepts et d’en étudier les nouveaux usages. Cette communication a croisé deux expériences différentes : celle de Bénédicte Grailles au sein de la région Pays-de-la-Loire et celle de Jacqueline Ursch au sein des Archives départementales des Bouches-du-Rhône.
Bénédicte GRAILLES, maîtresse de conférence en archivistique à l’Université d’Angers nous a présenté « Les archives sont-elles des objets patrimoniaux ? Quelques réflexions à propos d’une expérience de recherche collective sur les nouveaux patrimoines en Pays-de-la-Loire. »
L’objet principal de son intervention était de savoir si les archives pouvaient être considérées comme de nouveaux objets patrimoniaux mais surtout comme des « objets patrimoniaux comme les autres ».
Cette réflexion a débuté en 2008 avec la création d’un groupe de recherche sur la patrimonialisation, c’est-à-dire aborder le patrimoine sous l’angle mémoriel et identitaire. Elle a donc pris part au projet Néopat avec des chercheurs issus des sciences humaines et du droit. Ce projet se concrétisera par la publication d’une Encyclopédie qui paraîtra courant 2013 aux Presses Universitaires de Rennes. En ce qui concerne les archives, trois entrées leur sont consacrées : l’entrée « patrimoine écrit militant et archives du monde du travail », « la collecte des sons, d’images et de paroles ou la création d’un patrimoine », et enfin « des usages en ligne du patrimoine écrit ». La participation d’archivistes à ce projet a beaucoup étonné puisque, pour les chercheurs, les archives ne sont que des sources. Il a été difficile d’imaginer les archives comme de « nouveaux objets patrimoniaux ».
Toutefois, du point de vue du droit, avec le code du patrimoine, les archives sont bel et bien considérées comme un objet patrimonial, même si elles sont parfois dotées de spécificités.
Du point de vue administratif, les archives finissent par acquérir le statut d’objet patrimonial, la décentralisation a joué un rôle clé dans cette prise en compte et ce n’est qu’en 2010 qu’est créée la Direction générale des patrimoines.
Les professionnels ont progressivement adopté le mot et le concept de patrimoine pour les archives. Cependant, face au rapprochement des différents corps du patrimoine, on observe des résistances à se fondre dans l’étiquette patrimoniale, car chacun reste attaché à ses spécificités.
Deux méthodes sont communes aux professionnels, celles de l’inventaire et de la sélection. Madame Grailles a surtout insisté sur celle de la sélection puisque « tout patrimoine fait l’objet d’une sélection ». Dans cette sélection, différents critères entrent en compte. Pour les archives, un critère propre : celui de la représentativité. Le principe de respect des fonds n’est pas l’apanage des archivistes, car les ethnologues utilisent le concept d’unité écologique. « Le critère d’authenticité et d’originalité est consubstantiel à la notion de patrimoine », cela ne va toutefois pas de soi pour les archives qui conservent des copies et des faux. Mais avec l’arrivée du records management, les archivistes devront en tenir compte. Un objet patrimonial est empreint de sacralité, « culte des reliques », le critère du temps est à relativiser pour les archives qui se réévaluent en continu.
Les archives sont donc des objets patrimoniaux, mais il faut plus de temps pour s’en rendre compte. L’objet patrimonial est différent d’un bien culturel, car il s’ancre dans une dimension sociale que les archives et les services d’archives intègrent facilement.
Jacqueline URSCH, directrice des archives départementales des Bouches-du-Rhône s’est exprimée sur « la constitution d’un patrimoine commun dans l’interculturalité ».
Les Bouches-du-Rhône sont un département « multiculturel, industriel et en mutation constante », qui intègre différentes populations issues d’immigrations diverses depuis plusieurs années. Cela impose donc de développer des axes de collecte et de valorisation particuliers.
Ce service d’archives est implanté au cœur d’un quartier populaire qui ne fréquente pas les archives de prime abord mais qui est très attaché à son histoire. Pour cela, la directrice et son prédécesseur se sont investis dans plusieurs projets et partenariats avec diverses associations comme Paroles vives, Ancrages, l’Association de recherche sur l’histoire de la poudrerie de Saint-Chamas, Cécifoot…. Avec chacune d’elles, ils ont procédé à une collecte d’archives orales basée sur les témoignages des populations, des films, des photographies, dont le fonds remarquable de Jacques Windenberger de 400 000 photographies qu’il continue à alimenter. Cela permet de prendre en compte l’histoire de ces personnes et d’en garder la mémoire. Bien sûr, tout cela engendre un travail considérable dans le traitement archivistique (séquençage, analyse, indexation, cotation) et un investissement financier important.
Ces archives sont porteuses d’histoire et de mémoire il faut donc les valoriser, ce qui est une manière de remercier les donateurs. On peut donc parler de « dons et contre-dons ». Cette restitution passe par des journées d’échanges et de rencontres, des expositions, des lectures d’archives, des projections de films, de balades sensorielles dans les magasins d’archives (dans le cadre du partenariat avec une association de non voyants, Cécifoot). Ces journées permettent d’attirer ces nouveaux publics aux archives et de leur faire « partager notre goût pour les archives » tout en conservant la mémoire de ces diversités culturelles. De plus, cela permet d’enrichir les fonds, ce sont des fonds complémentaires.
Ce service mène donc beaucoup d’actions de sensibilisation et de médiation ; ce n’est pas toujours facile, mais Madame Ursch reste optimiste et, dans tous les cas, c’est une expérience enrichissante, intéressante et humaine.
A la suite de ces interventions est apparue la nécessité d’un positionnement des archives sur le territoire et dans la réflexion collective. Il y a un rôle à jouer dans l’évolution de la conception du bien patrimonial : les archives perdraient de leur valeur patrimoniale au profit de la valeur administrative.
Les archivistes doivent aussi être présents dans les manifestations collectives du secteur du patrimoine pour ne pas perdre leur place et parce qu’elles ont des fonds très riches (par exemple sur le portail commun l’histoire par l’image).
La question des relais est également très importante pour garder un lien entre les services et leur environnement.
Pierre Blanpain de Saint Mars, Aurélie Coulon, Clémentine Dumas