Dans leur intervention, Françoise Banat-Berger et Christine Nougaret veulent attirer l’attention sur la terminologie employée dans le domaine des archives. Elles partent du constat que le terme d’« archives » est aujourd’hui de moins en moins utilisé dans un contexte électronique. Les objets manipulés changent, et avec eux le vocabulaire.
Christine Nougaret propose donc de faire un « état des lieux de la terminologie ». En s’appuyant sur un corpus de textes réglementaires, elle met en valeur deux éléments : d’une part les termes spécifiques (liste, rapport, dossier, copie, registre etc…) y sont bien plus nombreux que les termes génériques (information, document, acte, données, archives). D’autre part, le mot « archives », apparaît à la fin de cette liste, ce qui montre une forte baisse de son utilisation. Un tel constat se vérifie dans le domaine du Records Management où on préfère le terme de « document », comme au sein de l’AFNOR qui utilise plutôt les expressions de « document de preuve » ou « document de gestion ». En somme, chaque communauté a son vocabulaire.
Françoise Banat-Berger aborde ensuite le thème de la diplomatique numérique et le management des données de référence. C’est le domaine du groupe InterParès, qui étudie l’évaluation des documents dans le contexte numérique. En effet, avec la dissociation du support et du contenu des documents d’archives, les risques de pertes et de falsification sont plus élevés. Ces nouveaux modèles ne sont pas sans conséquences sur l’archivistique et la diplomatique. Mais l’objet d’archivage doit rester un « objet digne de confiance ». Trois critères, établis depuis longtemps par la diplomatique médiévale, sont donc repris afin de l’attester : l’authenticité, la fiabilité et l’exactitude. Madame Banat-Berger rappelle que les données étant « un bien, un acquis de l’Etat, qui doit aider à la prise de décisions », elles doivent être bien gérées et répondre au principe de transparence. Deux enjeux majeurs s’y rattachent : une bonne gouvernance et le pilotage de politiques publiques.
Didier Devriese, directeur des archives, du patrimoine et des collections spéciales à l’université libre de Bruxelles, étudie de son côté la question sous l’angle de l’histoire archivistique. Partant des travaux de Michel Foucault, il a rappelé que la domination progressive du numérique a amené à une révision des frontières entre données, documentation et archives, et de fait à des changements de pratique. Il a expliqué que la construction du savoir archivistique, un « avatar polymorphe » ou « objet hybride », s’est faite autour de deux axes (pour et contre la puissance politique, et par et pour la connaissance politique), et qu’elle a été utilisée parfois comme représentation citoyenne et démocratique, ou comme instrument. « Les archives ne sont-elles pas produites par l’archivistique ? », se demande donc l’historien. Il rappelle que l’archivistique est une instance de « véridiction », une vérité s’appuyant toujours sur des systèmes de preuves, même si les archives personnelles échappent à cette instance. Il ajoute que l’archivistique ne se serait pas émancipée sans les piliers que sont la tradition historique et la tradition du droit, que l’archiviste a été un « auxiliaire de l’administration » et que ce corps, qui était à l’origine un corps de pratique, a évolué en un corps de doctrine. Or, l’archiviste doit aujourd’hui faire face à des changements d’environnement radicaux, une difficulté qui s’accroît lorsque l’on veut comprendre les processus et contextes de production : l’archiviste ne doit plus rester la seule instance de « véridiction », il doit donc travailler en synergie avec les producteurs et devenir un corps de doctrine avec des principes clairs afin de participer au débat.
Les débats qui ont suivi ces exposés ont vu plusieurs interventions. Jean-Daniel Zeller, archiviste des hôpitaux universitaires de Genève, s’interroge sur la responsabilité sociale de l’archiviste, montre qu’il faut répondre à une évolution des supports et remarque que les archives personnelles sont susceptibles de devenir des archives et qu’en réalité, on ne conservera jamais qu’une petite partie de ces dernières. Réagissant à ces propos, Didier Devriese montre que les conditions, les possibilités et le rôle de l’archiviste ne sont pas anodines dans ce contexte, notamment pour les questions d’éthique et de citoyenneté : ainsi l’Association des Archivistes Américains a-t-elle refusée que des données à caractère personnel ne soient livrées à l’administration américaine, même dans le cadre du Patrioct Act. Une autre intervention a porté sur la demande sociale actuelle, qui correspond à une « quête de vérité ». L’archiviste ne sera-t-il pas celui qui fournira un appareil critique ? À cela, Didier Devriese expose qu’il faut avoir des critères techniques afin d’avoir un objet de confiance, et se demande si l’archiviste doit se poser comme témoin et montrer la véracité de l’objet. Roger Nougaret considère cependant que, si l’archiviste doit établir ces critères de confiance, c’est en définitive à l’historien de se positionner. Il rappelle que les archives sont une pure construction en soi : « C’est dans la construction que l’archiviste fait des archives qu’elles existent », mais une construction réalisée avec les outils de la critique scientifique. Françoise Banat-Berger ajoute que dans la démarche d’InterParès, les critères s’empilent afin d’établir une présomption, et que les processus de création et de circulation de l’informatique sont complexes. Didier Devriese conclut donc sur le fait qu’il ne s’agit pas d’intervenir sur l’interprétation des documents, mais bien sur le processus de production de ces documents.
Marine Vautier et Pierre Hamel