Les trois interventions cherchent à interroger les demandes sociales et leur conséquence sur la conservation des documents chez les producteurs et sur la collecte.
Bernadette Ferradou est responsable archives à l’Agence de l’eau Adour en Garonne. Elle développe la notion de complémentarité entre records management et archives intermédiaires d’après son expérience professionnelle. L’intervention a pour dessein de retracer le lien entre la demande sociale, la place des administrations et la collecte des archives publiques et privées. Elle privilégie une approche de type sociologique.
L’enjeu est le temps qui est une denrée rare dans notre société post-moderne. Or la représentation du temps est aujourd’hui focalisée sur la tyrannie de l’urgence et le présent. Selon les historiens et les sociologues, toute préférence excessive pour le présent exclut une réflexion sur le futur. Ainsi, les producteurs et les clients souhaitent accéder à leurs archives quasi instantanément. L’arrivée du records management marquerait-il un suicide des trois âges des archives ? Un demi-siècle plus tard, les archivistes opèrent une relecture de ses schémas traditionnels. Les questions principalement suscitées sont : est-ce que le records management et les archives intermédiaires sont incompatibles ? Comment l’archiviste envisage le rapport au temps ?
Le rapport au temps induit la subjectivité des individus qui semble être en opposition à la temporalité des administrations. Le temps est un allié dans le travail de collecte des archivistes. Il peut améliorer les attentes des producteurs et lui apporter des solutions.
Il existe une coexistence des structures formelles des organisations et des structures informelles des individus qui sont toutes deux interdépendantes. La collecte des archives est une négociation, une relation de pouvoir dans laquelle les archivistes doivent s’inscrire. De plus, les archivistes doivent établir une relation de confiance avec les producteurs afin qu’ils puissent fixer les modalités de collecte dans de bonnes conditions. Même dans le cas des archives publiques, les producteurs bénéficient d’une marge de subjectivité et la constitution des dossiers d’activité dépend aussi des représentations extérieures. L’individu est attaché à ses archives et est conditionné par sa place dans la hiérarchie de l’organisation. On constate deux temporalités à l’œuvre : la temporalité courte qui concerne les dossiers et les informations triées en amont et les archives longue qui concernent les dossiers historiques ou crées par des experts. L’archiviste doit répondre à deux attentes différentes, deux temporalités.
Trois facteurs interviennent avec force : l’importance du tri dans les archives, la subjectivité de l’individu et l’urgence qui est la temporalité normale pour la collecte.
Anne Lebel s’interroge sur la relation entre identité et archives en Guadeloupe. La Guadeloupe est devenu tardivement un département français (1946), alors qu’elle est colonie française depuis 1635. Les archives départementales sont créées en 1951. Fruit de cette histoire, elles sont bien évidemment lacunaires.
En 2009, la Guadeloupe connaît des émeutes généralisées. Lors de ce conflit très médiatisé, des revendications identitaires très fortes sont exprimées. La place des archives dans ces revendications est importante car, selon les contestataires, elles ne représentaient pas suffisamment l’histoire des Guadeloupéens – esclavage, colonialisme, luttes sociales. Cette histoire est perçue comme tronquée par un manque d’archives1 ou par une non-communicabilité des archives. La même année,
il est question de créer un centre d’histoire politique et social de la Guadeloupe pour le XXe siècle sans que cela entre en concurrence avec les archives départementales.
Les archives départementales ont lancé un important chantier : collecte d’archives privées notamment des tracts indépendantistes des années 1970, mise en ligne d’un site internet (prévu pour la fin 2013). Les Guadeloupéens pourront aisément accéder à leur mémoire2.
L’archiviste devient un acteur social. Il répond ainsi à la demande identitaire d’une histoire locale marquée par les traumatismes. Les archives jouent le rôle de preuve dans une société sans mémoire.
Antoine Djikpa, Isabelle Malfant-Masson et Gérald Postansque, membres de l’union des syndicats des généalogistes professionnels (USGP), souhaitent alerter sur les dangers qui pèsent sur un certain nombre de documents indispensables pour régler les problèmes d’identité, de succession, et la recherche d’origine et qu’ils utilisent dans leur travail quotidien en partenariat avec les notaires et les services d’archives. Or, la conservation des documents administratifs est en danger du fait d’instructions réglementaires, notamment les registres de formalités et d’ordres des inscriptions hypothécaires, les registres de dépôts des formalités, les actes sous-seing privé, les renvois, ainsi que les annexes et les répertoires du livre foncier rendus inaccessibles après une numérisation partielle. Il est évoqué d’autre part une mise en danger par l’ignorance et la négligence, du fait de la sous-utilisation, la fermeture de certain services, l’absence d’outils de consultation et enfin un manque de connaissance de l’utilité du fonds. Ils affirment la volonté de l’USGP de participer à la sauvegarde systématique et pérenne les documents administratifs.
Éva Courtiade, Jeanne Debleds, Adélie Urbani
1. En 1990, les archives de l’hôpital de Point-a-Pitre ont été retrouvées en très mauvais état et n’ont pas pu être exploitées notamment pour la recherche historique.