Charles Hervis ouvre cette séance sur trois questions : quelles sources de revenus pour les services d’archives ? Quel modèle économique ? Le bien commun doit-il primer ?
Archives et biens communs : vers une nouvelle économie de la valorisation du patrimoine. Jordi Navarro
L’intervention débute par l’histoire de « doc, un bon vieux document en papier » qui reflète le fonctionnement de l’administration. L’archiviste a un rôle primordial : faire passer le document dans le patrimoine culturel. « L’archiviste est un expert mandaté par la communauté ». Il veille au respect des règles fixées par la communauté qui sont la conservation définitive des documents et la consultation pour tous. Mais, le document a des caractéristiques intrinsèques. Il est matériel et unique. Cependant cela entre en contradiction avec les règles fixées par la communauté.
Comment assurer pérennité et libre accès à un objet fragile ? La solution trouvée est de placer le document en bien public. La personne publique va pouvoir gérer la rareté tout en restreignant l’accès au document afin de le préserver. « L’archiviste devient le garant de la chose publique ».
La donne diffère avec l’arrivée des documents numérisés, car il y a une disjonction entre l’information et le support. Le document est duplicable et non plus rival. L’archiviste peut alors respecter les règles de la communauté sans restreindre l’accès. On parle de bien commun.
Cependant, le libre accès du document change la mission de l’archiviste, car il doit faire face à l’appropriation des documents. Pour cela il existe différents moyens d’y faire face. L’enclosure technique qui consiste à utiliser un format propriétaire ou une image basse résolution pour gêner la réutilisation du document. L’enclosure juridique est l’utilisation de licences restrictives. Enfin, l’enclosure de données permet l’accès au document sous réserve de paiement. Mais cette dernière est controversée.
On peut donc dire qu’un document matériel est différent d’un document numérisé car celui-ci est dégagé d’une partie des contraintes : on arrive à la notion de patrimoine culturel.
Données généalogiques mises à part, peut on envisager d’autres modèles de marchandisations des archives ? Benjamin Suc
Le but de cette intervention est de présenter trois projets de mise en valeur patrimoniale : « Il faut éveiller les consciences sur la valeur des archives, anticiper les difficultés budgétaires de demain ».
Tout d’abord Histographe, un réseau social créé il y a un an. C’est à la fois un site d’histoire et une base de données. Des thèmes, des questions sont abordés dans le but d’indexer des documents personnels afin de créer une aventure commune. Ce site est en accès libre sur simple identification, mais pour accéder à toutes les options, il faut payer soit un abonnement de 5 euros par mois, ou 0,15 centimes par document à consulter. Reste à savoir si « les documents sont vraiment personnels. »
L’aventure Michelin. Tout le monde connaît l’entreprise créé en 1889. Mais Michelin a pour but d’aller plus loin afin d’accompagner le voyageur dans sa mobilité (édition de carte routières, hôtels, guides…). En 1970, pour rassembler ses collections, l’entreprise ouvre un conservatoire du pneu, réservé au personnel. En 2009, l’aventure Michelin débute. C’est un témoignage du passé et un engagement dans la recherche et le développement. Les archives servent l’image de l’entreprise et génèrent des bénéfices.
Pour terminer, le Coq Sportif qui débuta en 1882 dans la bonneterie puis s’immisça dans le sport en 1920. Après son apogée en tant que sponsor de 1930 à 1980, l’entreprise se heurte à la concurrence jusque dans les années 2000. Vient alors l’idée de capitaliser sur son héritage et son histoire. Des images, photos et vidéos permettent la transmission de valeurs. Une nouvelle image se crée grâce aux archives.
Les fonds patrimoniaux entraînent le « storytelling ». Chaque société crée une histoire, un rêve et recueille des adhésions. Devenez acteur de la Grande Histoire ! Évadez vous en voyageant ! Réalisez les exploits de vos champions !
Illusoire ou légitime ? La rétribution de certains services aux archives départementales. Thierry Heckmann
Lors de son intervention, le directeur des archives départementales de Vendée témoigne des actions réalisées dans le service. Il aborde le fait que les archives puissent être une source de revenus. Si des interrogations ou des craintes peuvent être légitimes, elles ne doivent pas paralyser les professionnels. Le public change, mais aussi les manières d’aborder les archives et les pratiques de recherche.
Chacun à droit d’accéder aux preuves qui lui sont nécessaires, mais parfois le public a besoin de l’aide de l’archiviste pour déterminer ses besoins exacts et les fonds pertinents à consulter. Il oppose ce public à celui habitué de la recherche et de ses pratiques. Ainsi les généalogistes, sans être considérés comme chercheurs à part entière par la profession, partagent aussi certaines pratiques. Mais tous n’ont pas l’envie de se lancer dans la recherche, particulièrement dans le cas d’une recherche ponctuelle, d’où une certaine frustration sur l’utilité de s’adresser aux services d’archives.
Mais dès lors, la mission de service public est-elle réellement remplie ? Dans un contexte de raréfaction du public de chercheurs en salle de lecture, ne serait-il pas pertinent de se tourner vers ce public prêt à payer pour la recherche qu’il n’est pas capable de faire ?
Des recherches demandées par le public fournissent du travail supplémentaire, occupent du personnel, ce qui rend légitime une compensation financière. En Vendée, on distingue deux cas de figure, d’une part, la reproduction de pièce unique, qui ne nécessite qu’une recherche et la facturation d’une copie. Par ailleurs, les recherches plus poussées nécessitant la consultation de pièces diverses pour produire un dossier de preuve. Dès lors, un entretien est nécessaire avec l’utilisateur pour cerner les besoins, qui aboutit à l’établissement d’un devis comprenant le temps de recherche et de rédaction du rapport. Dans le cas d’une affaire complexe, un rapport d’étape peut être réalisé. Cette pratique favorise la satisfaction de l’utilisateur qui n’a pas à se soucier de la recherche en elle-même, mais aussi le service avec les crédits engendrés et la satisfaction du personnel confronté à la réalisation de ce dossier.
Dans d’autres pays occidentaux, les généalogistes sont pour certains plus des consommateurs que des chercheurs. Ils ne consultent plus les archives elles-mêmes mais leurs indexations. Or l’indexation en France souffre de deux principaux handicaps. D’une part, l’indexation actuelle demeure le fruit du travail opéré par les services d’archives et les associations. Mais il n’y a pas de politique générale ce qui ralentit l’indexation des documents les plus intéressants. D’autre part, le travail réalisé par tel ou tel service reste limité par les zones géographiques, ce qui ne permet pas de voir les flux migratoires. Ceci peut expliquer pourquoi des demandes de publication en ligne ont émergé de la part des généalogistes, source de crispations avec la communauté archivistique dans certains cas.
En Vendée, la réutilisation commerciale des archives à suscité trois questionnements.
Veut-on l’en empêcher ? Cela n’aurait pas de sens. Encouragée par l’évolution législative, c’est un processus en cours qui permettra la mise en place d’une nouvelle économie de l’information dans le département (en accord avec des politiques départementales par ailleurs). Il s’agit d’opérer une plus grande ouverture des archives afin que les internautes ne basculent pas du service public vers des prestataires privés de manière trop importante. Quels revenus minimum ? La réutilisation commerciale des archives nécessite un investissement de départ, mais permet une rente ce qui est plutôt intéressant pour un département, surtout dans un contexte d’appauvrissement des subventions publiques culturelles. Quelle est la situation du marché ? L’étude économique a montré que le marché n’est pas encore en état de supporter un tel investissement au départ, c’est pourquoi le département a fait le choix de ne pas avoir de rente pour une durée de 3 ans.
Outre l’aspect financier, c’est surtout l’image des archives qui s’en trouve changée. Au regard de la multiplication des bases de données en ligne, la concurrence va apparaître inexorablement. Aussi, se positionner à ce niveau en tant que service d’archives permet de générer une capacité d’attraction de ce public en réserve. Ainsi, le public plus pressé, originellement attiré par les bases de documents indexés, continuera de les consulter sur internet, tandis que les chercheurs continuerons de consulter les sources en salle de lecture. Mais cela permettra aussi à ce public « de réserve » de découvrir les archives grâce au travail des ré-utilisateurs commerciaux. En Vendée, la réglementation impose que chaque image diffusée soit accompagnée d’un lien renvoyant au document source disponible sur le site des archives départementales. Il s’agit alors de proposer des chemins de découverte pour faire passer les plus pressés du côté de la recherche.
Grâce à ces pratiques, le service public est toujours maintenu en proposant un accès adapté à l’utilisateur.
Archives et mémoires étudiantes : une économie sociale et solidaire est-elle possible ? Jean-Philippe Legois, Marina Marchal
La cité des mémoires étudiantes est une structure associative pour la sauvegarde des ressources documentaires des étudiants. Ces archives sont fragiles et éparpillées. Pour reprendre l’expression de Jordi Navarro, « doc » est ici un orphelin. En effet, il est difficile pour la cité des mémoires de retrouver les producteurs d’archives. Il faut trouver un investisseur pour valoriser et conserver ces archives.
Plusieurs projets ont été menés afin de valoriser ces archives, notamment la mise en vente de différents tracts de l’association d’étudiants algériens (sur le site Delcampe.fr). On se demande alors si les archives peuvent être des sources de revenus. Peuvent-elles être vendues ?
Le financement du traitement peut passer par des revenus liés à la valorisation comme des colloques ou des conférences, mais aussi par l’auto-financement. Par exemple, une exposition sur la santé étudiante a été proposée à la location (syndicats étudiants, CROUS, collectivités), avec des conférences pour contextualiser les expositions, des visites guidées par exemple. Mais cela ne suffit pas et les ressources sont complétées par le financement public et les dons.
Pendant mai 68, la BNF demandait aux citoyens des tracts afin d’établir une histoire collective. Une entreprise privée les a microfilmés et les a laissés incommunicables. Les archives sont une source de revenus, mais si on veut être dans une optique de bien commun pourquoi ne pas envisager une domanialité publique étendue avec la gratuité des archives établie ?
Archives et management en entreprise : apports réciproques. Didier Bondue, Marie de Laubier
Marie de Laubier témoigne de son quotidien au sein de l’entreprise Saint-Gobain. Bibliothécaire d’origine elle doit s’adapter à des fonctions qui sont diverses. Saint-Gobain Archives est un service unique car il vend ses prestations. Ce système, imaginé par Maurice Hamon, a mis des dizaines d’années à se mettre en place. La gestion des archives est un coût, mais il a été transformé en profit. Cela n’a pas été facile vu le contexte économique et les évolutions du groupe. En 1996, avec le rachat du groupe POLIET par Saint-Gobain, l’enjeu est d’introduire une culture marketing dans un groupe à culture d’ingénieur.
Le marketing est-il un outil au service de la gestion des archives ? Dans cette société il y a des associés, des clients internes ou externes. Le chiffre d’affaire est réparti entre les associés. La société a réussi à transformer le coût de la gestion d’archives en profits. Pour cela il faut connaître son marché et déterminer un bon « mix marketing ».
L’exposition en 2006 au Musée d’Orsay a été un bon moyen de communication. La société a reçu le grand prix au festival de communication. Il faut savoir s’adapter en permanence. Pour le futur, les grands enjeux seront les archives électroniques.
Nicolas Bertrand, Caroline Lebreton, Anna Desnoyers