Dans son introduction, Bénédicte Grailles relève que les deux communications de la séance ont en commun de s’interroger sur les compétences que les archivistes devraient acquérir pour mener au mieux les interventions en amont, avec les producteurs et leurs données : former et surtout bien former les producteurs pour anticiper les difficultés ; réorienter et renforcer les compétences en vue de trouver un vocabulaire commun à tous ceux qui interviennent autour de la conservation de la donnée.
Chloé Moser est responsable du préarchivage du Conseil général des Hauts-de-Seine.
Dans son intervention, Chloé Moser constate que le métier est mal voire pas connu. C’est pourquoi l’Assocation des archivistes français (AAF) s’est penchée sur la recherche de nouvelles méthodes de communication en matière de formation. En effet, si les archivistes savent bien communiquer avec le lecteur, ils ont plus de difficultés à s’adresser à l’amont de la chaîne, c’est-à-dire aux services versants et producteurs. Chloé Moser appelle les archivistes formateurs à renouveler leurs méthodes de formation. Toutefois, elle s’interroge : l’archiviste est-il prêt à conseiller les producteurs ? Cette problématique enrichit la règle des 4C, qui deviendrait celle des 5C (collecter, classer, conserver, communiquer, conseiller).
Elle donne l’exemple de l’AAF qui a développé depuis 2009 des formations de formateurs et édité deux guides sur les archives départementales pour les archivistes et « les correspondants archives ». Enfin, avec la collaboration d’Alice Grippon, elle a mis en place un dépliant Mes archives et moi, dont le but est de sensibiliser les fonctionnaires à la gestion de leurs archives. Cette plaquette utilise volontairement un vocabulaire non spécialisé. La réception de cette initiative n’a pas été unanime : l’AAF allait-elle accepter un contenu aussi peu scientifique?
Depuis 2008 existe la formation de formateurs. Cela nécessite pour les archivistes de remettre en cause leurs pratiques de formation et amène une réflexion sur la forme et le contenu des formations existantes. L’AAF suggère de créer des formations plus ludiques que le cours magistral traditionnel (jeu, brainstorming, questions-réponses).
Les archivistes-formateurs ont une double exigence : la formation doit apporter des résultats positifs, mais il s’agit aussi de créer un moment convivial, ludique. Il est difficile de tenir ces deux engagements. En temps qu’archiviste, le formateur aspire davantage à un résultat archivistique (apprendre les normes aux agents d’un service administratif par exemple), au détriment du confort de la personne qui assiste à la formation archives (un cours magistral est plus rébarbatif qu’un moment convivial). « Des compétences en conseil, formation et sensibilisation = des compétences pour communiquer différemment. »
L’archiviste et l’informaticien : rencontre des enjeux, mariage des compétences
Lourdes Fuentes Hashimoto, Frédéric Deguilhen et Rémy Verdo travaillent à la Direction des archives du ministère des Affaires étrangères. Les deux premiers sont archivistes, le troisième est chef de projet informatique.
Lourdes Fuentes Hashimoto part du constat que « le métier évolue et change beaucoup ». La relation informaticien-archiviste n’est pas nouvelle et date des prémices de l’informatique. Toutefois, malgré son importance, cette relation n’est pas exclusive. A la fin des années 1970, cette relation donne vie à CONSTANCE (le programme d’archivage des Archives nationales) qui célèbre aujourd’hui ses trente ans. Pour 2012, le cadre de travail évolue grâce à un mandat sur les archives électroniques.
Elle rappelle ensuite les missions traditionnelles de l’archiviste, à partir de la lettre patente de Philippe le Bel à Pierre d’Etampes en 1309. « Qu’il voit, examine, mette en ordre et range dans les armoires les lettres, chartes et privilèges, afin de les conserver le mieux possible pour qu’ils soient le plus sûrement et le plus facilement utilisables lorsqu’il sera nécessaire. Et qu’il fasse tout ce qu’il faut pour les conserver sûrement et les retrouver rapidement ». En 2013, « qui pourrait croire, après cette constatation, que le métier a changé ? », pour reprendre l’expression de Jean Favier. Si les termes ont changé, les idées demeurent les mêmes. On peut même dire que son vœu est réalisé aujourd’hui. Les 4C sont accompagnés désormais d’un cinquième item : la valorisation.
La dualité travail matériel / immatériel est profonde dans le métier. Les missions fondamentales ont-elles réellement changé avec le numérique ? La profession évolue, le métier se professionnalise grâce à la formation et aux cadres législatifs. A-t-on encore besoin des formations généralistes ?
Pour R. Verdo, l’archiviste ne doit pas tout changer, les fondamentaux restent (par exemple : l’analyse de l’information et de la manière dont elle est organisée est identique). Il faut être tourné vers l’administration, voir comment elle évolue et s’organise. L’informatique vient changer l’archiviste, dans le sens où il contrôle des chaînes documentaires. Des problèmes apparaissent : augmentation de la masse documentaire, problématiques des formats et supports. Depuis 2000, le document électronique peut servir officiellement de preuve. L’archiviste doit participer à la conception du document, ce qui augmente le nombre de ses compétences traditionnelles.
L’archiviste ne peut pas se reposer sur l’idée que la technologie se développera plus tard et donc repousser le problème de la pérennisation des supports. L’interopérabilité est présente aujourd’hui, grâce au XML. Lors de maîtrises d’ouvrage, les archivistes et les informaticiens doivent employer un vocabulaire commun par exemple : la notion d’archives diffère selon le métier (documents compressés .ZIP, .RAR) ; la notion de conservation est différente du back-up (copie de données sur un disque dur différent). La notion de temps est essentielle, celle de durée administrative aussi. Le numérique modifie-t-il radicalement le métier d’archiviste ? Pas du point de vue de R. Verdo. Les formations sont-elles adaptées ? Peut-être faudrait-il envisager des compétences managériales chez les archivistes. L’informatique s’apprend par la pratique.
F. Deguilhen, informaticien, parle de son retour d’expérience concernant la mise en œuvre de l’archivage électronique au ministère des Affaires étrangères. Pour lui, les informaticiens aujourd’hui ne se posent pas la question de la pérennisation de l’information. S’appuyer sur les normes ne suffit pas : il faut s’adapter aux organisations. Jusque dans les années 1990, les informaticiens ne géraient que des données “jetables”, sans valeur juridique, et ne réfléchissaient pas au cycle de vie des documents. Un important travail doit être fait en amont pour créer un système d’information, une application par exemple.
Il met aussi en avant les évolutions juridiques des années 2000, comme la directive européenne sur la signature électronique, et le fait que l’archiviste doit aider l’informaticien et le décideur. En effet, de plus en plus d’organisations mettent en place des systèmes de gouvernance de l’information. Les archivistes, selon lui, doivent y aider, en faisant comprendre aux informaticiens la valeur probante des documents d’activités. La solution technique miracle n’existe pas. Pour lui, l’archivage électronique passe d’abord par la mise en place d’une nouvelle relation entre archivistes et informaticiens.
En conclusion, L. Fuentes Hashimoto évoque le fait que la notion de conservation a évolué avec le records management. La collecte évolue plus vers un rôle de conseil et d’assistance. Dans l’univers électronique, les différentes fonctions qui composent la chaîne de traitement archivistique doivent être mobilisées en même temps. Elle ajoute même d’autres “C” aux missions de l’archiviste, tels que « convaincre », « coopérer » et « collaborer ». Selon elle, le métier évolue, mais pas tant que ça.
Anaïs Berger, Mathieu Bouvet, Lucille Cottin, Sandy Guibert