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Internaliser, externaliser, autogérer

La séance se propose d’explorer les différentes voies d’organisation : internalisation, externalisation, autogestion, en confrontant les points de vue et les optiques.

Documents d’activités et archives à France Télécom-Orange : d’un modèle défensif et protecteur à un modèle économique offensive parArnaud Jules

Arnaud Jules (Head Records manager à France Télécom-Orange) a présenté la politique de gestion de l’information mise en place au sein du groupe. Ce modèle, créé ex nihilo, s’est adapté au fur et à mesure, et ce, parallèlement au développement du système de gestion d’archives. France Télécom est aujourd’hui une multinationale privée confrontée à la multiplication des documents d’activité. L’équipe responsable de la gestion de ces documents se heurte à des contraintes législatives importantes du fait de la mondialisation du groupe et d’une pression économique accrue en raison d’une volonté de limiter les coûts. « Une bonne gestion de l’information participe à une bonne image de marque ». Les objectifs de cette politique sont : préserver des preuves des actions effectuées, réutiliser les informations, anticiper et construire le patrimoine relationnel du groupe. Sur le plan du Records management, on assiste à « une priorisation de certains documents ». Le but, selon lui, n’est pas de gérer l’ensemble des documents produits mais ceux qui apparaissent comme les plus importants. Les trois conditions nécessaires à la mise en place d’un système de gestion de l’information sont : un sponsor, dans le cas présent le secrétaire général du groupe, un porteur, ici l’équipe d’Arnaud Jules, et une politique interopérable. En effet, l’équipe collabore avec le département Sécurité, qui comprend un volet « Sécurité de l’information ».

En matière d’externalisation, le groupe a opté pour celle des documents papiers, à l’exception des documents relatifs au patrimoine et caractérisés par une confidentialité. Cependant, ces archives externalisées ne sont pas dénuées d’importance, comme le précise Arnaud Jules en prenant l’exemple des dossiers clients. De plus, le groupe a fait preuve d’une innovation certaine en conservant et en éditant 3 milliards de factures en format PDF. Il a également été précisé que l’interface web du groupe France Télécom-Orange associe la plateforme d’archivage à celle de la consultation.

En conclusion, des choix pragmatiques ont été effectués et ont débouché sur un fonctionnement mixte en matière d’internalisation et d’externalisation. Parfois, le besoin de qualité surpasse celui du retour sur investissement et inversement.

Un atelier de reliure-restauration en interne : quels coûts ? Quel intérêt ? par Olivier Justafre

Olivier Justafre, relieur-restaurateur aux Archives départementales des Côtes-d’Armor et chargé de conservation préventive, a débuté son intervention en exposant le point de vue de directeurs d’archives départementales qui s’interrogent sur la pertinence économique de l’attribution d’un espace pour la reliure et la restauration au sein des bâtiments de leur service. Il a ensuite enchaîné sur la présentation des missions du relieur et du restaurateur, qui doivent être distinguées. Si le premier est presque exclusivement chargé des opérations de reliure, le second intervient sur les documents patrimoniaux sans pour autant être compétent en matière de reliure. M. Justafre a exposé par la suite les écarts de coûts entre un fonctionnement interne et un fonctionnement externe. Dans le cas des relieurs, il apparaît que l’investissement nécessaire est similaire : que ce soit par recours à une société privé ou à un atelier interne, le coût d’une reliure varie entre 90 et 130 euros. Du côté des restaurateurs, on constate qu’il est plus avantageux de faire doubler un feuillet de papier japon en interne. En effet, l’opération coûte 3,50 euros dans le secteur privé tandis qu’un atelier interne peut la réaliser pour 3 euros. Face aux devis des sociétés privées proposant des opérations de restauration, les services d’archives réfléchissent sur les avantages de l’installation d’un atelier en leur sein. Au sein du service, le relieur-restaurateur peut jouer différents rôles : par sa maîtrise des facteurs de dégradation, il est à même d’occuper un poste de conservateur et de conseiller ses collègues sur les modalités d’exposition et la mise en place d’un plan d’urgence. Il a également une mission de sensibilisation en matière de conservation préventive ou de conditionnement. Enfin, il est le mieux placé pour la formation de ses confrères sur ces points. Selon Olivier Justafre, les services publics pourraient davantage ouvrir leurs portes aux étudiants qui ne parviennent pas à trouver une place dans les ateliers privés. Pour finir, M. Justafre rappelle les stéréotypes qui touchent les relieurs-restaurateurs, comme le caractère « ésotérique » de leur travail et leur impression d’être « au-dessus de la mêlée ». Il conclut en disant que, certes, le délai d’attente d’une restauration ou d’une reliure peut être long, mais qu’importe puisque, dans le domaine des archives, le temps n’a pas la même dimension.

Le traitement des archives des centres d’artistes autogérés : défis et enseignements par Denis Lessard

Denis Lessard, consultant indépendant, québécois, a suivi une formation en histoire de l’art et en archivistique qui l’ont amené à une carrière d’archiviste et d’artiste plasticien. Cette dernière caractéristique a, selon lui, une incidence sur son discours.

D’après la définition du Guide de déontologie de 2008, les centres d’artistes autogérés (CAA) sont des associations à but non lucratif où le conseil d’administration est contrôlé par les artistes. Ces espaces alternatifs ont été mis en place du fait de l’isolement culturel subi par les artistes canadiens à la fin des années 60. Sur le plan des archives, le faible nombre d’employés au sein de ces structures est autant un avantage qu’un inconvénient. En effet, s’il ne permet pas de consacrer un poste aux archives, il en résulte une plus faible production de documents et donc une meilleure gestion documentaire. L’achat de logiciels n’étant pas à l’ordre du jour en raison d’un coût trop important, on privilégie les outils de gestions simples, comme les plans de classement de la galerie Skol ou les tableaux de gestion. Aucune politique de RM n’est instaurée étant donné que le CAA n’est pas forcément prévu sur la longue durée. Ainsi, on compte peu de mesures liées à la gestion documentaire lors des fondations des CAA. En raison de leur caractère non commercial, ces derniers bénéficient de subventions de trois niveaux : fédéral, provincial et municipal. Cependant, leurs mécènes demandent à l’avenir le développement de revenus autonomes. Denis Lessard en a profité pour rappeler la différence existante entre l’approche québécoise et l’approche française en matière d’archives. En effet, les archivistes québécois gèrent autant les documents « actifs » que les archives historiques. Il a également présenté les différentes sensibilisations qu’il a pu effectuer au sein de ces CAA au sujet de la gestion archivistique et de l’importance de la préservation documentaire. Il a une fois mené un travail d’archivage en salle d’exposition devant le public, faisant de son travail d’archiviste une performance artistique. Bien que certains CAA aient choisi d’externaliser leurs archives au sein des musées et des universités, il lui apparaît plus adéquat de conserver les archives sur place « pour pouvoir s’y référer plus facilement ». Pour finir, Denis Lessard conclut sur le constat qu’« il est possible d’accomplir des choses avec peu de ressources».

Quels modèles ou quelles solutions l’économie sociale et solidaire peut-elle apporter aux archives ? par Christophe Jacobs

Christophe Jacobs1 est intervenu sur l’émergence d’une nouvelle catégorie d’acteurs au sein du réseau archivistique. En effet, les coopératives, qui sont des entreprises au sein desquelles les salariés détiennent au moins 51% du capital, cohabitent désormais aux côtés des associations et des mutuelles. Actuellement, le secteur de l’économie sociale et solidaire représente 10 % de l’emploi salarié en France, soit 2,35 millions de salariés. Ce même secteur représente également 6 à 8% du PIB français. Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), apparues en 2001, ont l’avantage de permettre une meilleure insertion professionnelle pour les jeunes archivistes, qui peinent à « échapper aux CDD » en début de carrière. Ils peuvent ainsi mettre « un premier pied à l’étrier » en se constituant leur propre emploi avec des conditions similaires à celles du secteur privé. Selon lui, ces structures pourraient permettre une mise en commun du matériel et des outils, notamment utilisés lors des expositions. Les sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP) sont des structures d’utilité sociale et économique ayant pour spécificité une gouvernance démocratique, étant donné que chaque associé n’a qu’une seule voix. Ces coopératives peuvent être une alternative satisfaisante à l’auto-entreprenariat puisqu’elles associent l’emploi salarié à la démarche d’entrepreneur.

Ces quatre interventions ont suscité de nombreuses réactions. On s’est désolé du fait que les archives ne soient pas liées à la gestion des risques en entreprise. Le coût représenté par la perte d’un document pouvant être inférieur à celui de la mise en place d’un système de gestion documentaire, certaines entreprises devraient revoir les choix qu’elles ont effectués. La conférence a été déclarée close suite aux constats suivants : la production du « savoir professionnel » est désormais relayée par le milieu associatif, qui pourrait être appuyé par d’autres acteurs. Enfin, en écho aux propos d’ouverture d’Ousmane Mbaye, président de séance, il a été clairement affirmé qu’il est primordial de convaincre les entreprises de l’importance d’une bonne gestion documentaire.

 

Jeanne Debleds, Maxime Gallard, Lili Willefert

 

 

1. Directeur-conseil de Limonade&Co.

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